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Je ne suis pas une créatrice au sens
où on l'entend aujourd'hui, mais une
sorte de toxicomane serrée au plus
près par l'angoisse et l'imagination,
c'est à dire que je peins comme on
boit l'avant dernier verre, en se disant que
demain sera le dernier ... de la sorte on
peut dire que je peins mon avant dernière
toile depuis bientôt un demi-siècle...
Comme
la plupart des gens issus d'un milieu défavorisé,
je suis restée aveugle très
longtemps. Disons que j'avais dix huit ans
lorsque mes yeux se sont posés sur
un tableau, plus précisément
sur la copie d'un tableau impressionniste.
Cela se passait dans un appartement bourgeois
du côté du bois de Vincennes
où habitaient les parents d'une connaissance.
Dois-je
à ce premier regard mon appétit
pour la peinture interdite jusque là
à ma modeste condition ?.C'est probable.
Un peu plus tard, je me suis autorisée
la visite du musée du Louvre où
je savais passer inaperçue, puis je
me suis approchée des galeries privées
comme une renarde d'un poulailler. Du trottoir
où je me postais faute d'oser pénétrer
dans les lieux sacrés, j'observais
de loin l'art dit contemporain au travers
des vitrines. Par la suite, j'ai connu des
peintres. J'ai suivi leurs conseils, ai étudié
diverses techniques, m'en suis servie tant
bien que mal, suis passée du fusain
à l'encre de chine, de l'encre de chine
à la gouache, de la gouache à
l'huile, de l'huile aux pastels secs, du pastel
sec au crayon gras et ainsi de suite.
Durant
plusieurs années, mon admiration. pour
certains peintres a influencé mon travail.
Je suis devenue l'ombre d'un tel ou d'une
telle, la grimace de tel autre. De cette longue
et douloureuse époque je n'ai gardé
que quelques brefs souvenirs. Tant d'influences
que l'on ne reconnaît pas, tant de faussetés
que l'on prend pour un style, tant d'acharnement
pour trouver une signature qui fera carrière
ou fausse route. A soixante dix ans, je ne
sais toujours pas si je me suis perdue ou
retrouvée, et peu m'importe. Le travail
m'attend et le doute. Je ne connais pas meilleure
cure de rajeunissement que ces deux vertus
là".
Jeanne Champion
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